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“Après l’élection de Mitterrand, j’ai eu de la limonade, c’était la fête”

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Cécile Duflot, fraîchement nommée ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, sera en charge du dossier du Grand Paris. L’occasion de republier cette interview, parue dans le numéro 6 de Megalopolis, où elle évoque son enfance à Montereau-Fault-Yonne, son père cheminot, ses trajets en RER, et son 20/20 en finance à l’Essec. 

Propos recueillis par Marina Bellot et Sylvain Mouillard

Comment vous définiriez-vous ? Banlieusarde, parisienne ?
J’ai eu plusieurs vies en une. Et c’est pour ça que je me sens mélangée. J’ai une identité qui est proche de la banlieusarde mais pour des tas d’amis d’ailleurs, je suis l’archétype de la Parisienne. Ça permet de ne pas avoir de vision préconçue. Ce qui est bien dans l’agglomération parisienne, c’est qu’on peut avoir accès à plein de choses différentes. Mais si on compare les tailles de Londres, Paris ou Tokyo, on voit que Paris – délimitée par le périph’ – est beaucoup plus restreinte que les autres métropoles. Là-bas, la question de l’appartenance y est beaucoup plus apaisée.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance à Montereau-Fault-Yonne, aux confins de la Seine-et-Marne, une zone urbaine en pleine campagne ?
J’ai grandi dans un quartier, Surville, qui ne ressemble plus du tout au lieu de mon enfance. L’endroit où je suis née, les tours Lavoisier, c’est démoli ; les écoles maternelle et primaire sont démolies ; le collège existe encore mais il a été complètement refait. Et le lycée n’existe plus. Tous mes lieux d’enfance ont disparu. Et l’autre jour, je m’y suis même perdue ! La route pour rentrer chez mes parents n’existe plus. Il faut s’imaginer Montereau comme une cité soucoupe spatiale posée au milieu des champs. C’est très bizarre parce que l’urbaniste qui regarde ça avec du recul en voit la dimension aberrante. Il fallait vraiment avoir une drôle d’idée pour construire autant de logements si loin de la gare. Et en même temps, moi qui l’ai vécu, c’était chez moi, et ça me semblait absolument naturel. Les tours Lavoisier, par exemple, ça s’arrêtait, il y avait un parking, un trottoir, la rue, et de l’autre côté, un champ de colza.

A 17 ans, vous emménagez à Villeneuve-Saint-Georges et allez étudier à l’Essec à Cergy-Pontoise… Pourquoi Villeneuve ?
Mon grand-père, né à Paris et qui a habité toute sa vie rue Villiot jusqu’à ce qu’on détruise son immeuble pour construite la tour Kodak près de la gare de Lyon, avait acheté un jardin à Villeneuve-Saint-Georges en 1946 pour y aller le week-end. C’était la cambrousse, hein. Il s’était construit une petite cabane à la place de l’ancien lavoir. Et puis, à sa retraite, il a bâti une maison dans ce jardin et a quitté Paris pour s’y installer. Je prenais le train de banlieue jusqu’à gare de Lyon. Direction ensuite les escalators jusqu’au RER A, où je m’endormais la tête contre la vitre, en attendant Cergy. J’ai fait plein de choses pendant ces voyages en RER. Il y avait souvent des gens avec moi, c’était un lieu de sociabilisation important.

La business school, ça vous a appris quoi ?
Ça m’a rendue écologiste, définitivement. J’y étais pendant les années 2000. Les gens qui étaient avec moi en cours créaient des start up, levaient plusieurs millions de francs. Je trouvais ça fantasque. On fabriquait le gaspillage, on était dans une forme de religion appuyée sur rien de tangible. L’Essec a été utile sur deux points. J’ai appris des choses, des techniques de management. Mais surtout, ça a changé le regard qu’on portait sur moi, ça déstabilisait certains interlocuteurs. J’étais hyper forte en finance. J’ai eu 20 à ma première UV, et j’ai détesté ça, c’était de la manipulation absolue. En même temps, ça permet de démonter le discours selon lequel les politiques en général – pas seulement les écologistes – sont mal à l’aise sur les questions financières et notamment sur l’endettement. Je suis peu effrayée par la technique, je sais à quel point on peut déguiser, sous des arguments techniques qui ont l’air très sérieux, des choses qui sont absurdes.

Et c’est à la Ligue pour la protection des oiseaux que votre vocation écolo est née ?
Non, cette prise de conscience vient de ma mère, qui était une écologiste de la première heure. Mon père, lui, est plutôt favorable au nucléaire. Il y avait des grands débats chez moi !

C’est quoi une mère écolo dans les années 70 ?
Elle passe un peu pour un clown aux yeux de tous ses amis qui viennent à la maison. C’est quelqu’un qui commence à faire du tri alors qu’il n’y a pas de poubelle de tri, qui apporte ses bouteilles en plastique à l’usine qui recycle les plastiques à côté de chez nous. Il fallait assumer l’originalité de ma mère auprès des copains… Mais rétrospectivement c’est une leçon de vie.

Et votre père, cheminot, comment vous a-t-il influencée ?
Mon père est cheminot, ma grand-mère travaillait aux chemins de fer et mes deux grands-pères aussi. C’est une histoire familiale lourde. Et donc, Villeneuve-Saint-Georges (plus grand centre de tri de la SNCF, ndlr). C’est marrant, les raccourcis de la vie. Mon père, c’est quelqu’un d’extrêmement droit, qui a été confronté une fois dans sa vie à une forme de corruption, et qui a dit non. Et à l’époque, je lui en ai voulu, parce que c’était une entreprise qui proposait de nous emmener en voyage je ne sais pas où. En même temps, il a une grande liberté vis-à-vis des obligations familiales, il m’a dit « Trace ta route ». Alors que ma mère, elle, est très engagée avec une forte dimension collective. Je suis le mélange de ces deux éducations.

C’était un milieu de gauche ?
Mes parents n’ont jamais eu d’engagement politique. Ils étaient très méfiants vis-à-vis des partis. Mais ils étaient tous les deux syndicalistes à la CFDT, et ils ont toujours été très engagés. En 1981, après l’élection de Mitterrand, j’ai eu de la limonade, c’était la fête. Dans mes souvenirs, j’ai l’odeur de la machine à alcool, avec laquelle mes parents faisaient les tracts. On n’avait pas le droit de trop s’en approcher parce que ça saoulait un peu. Il y avait toujours une gamelle avec de la soupe si les copains venaient. J’ai vécu cette ébullition des années 70-80 en étant petite fille.

Votre frère, lui, est ingénieur nucléaire…
Oui, mais je ne veux pas qu’on parle de lui. Ce n’est pas la peine que je lui serve de boulet, ce n’est pas de sa faute (rires).

Vous avez été visiteuse de prison à la Santé, ça vous a influencé dans votre vie politique ?
Je suis entrée au Génépi par hasard. Je venais d’arriver à Paris et j’avais du temps. A l’époque, je ne voulais pas être engagée dans le syndicalisme étudiant, je voulais faire des choses concrètes. J’étais écrivain public à la Santé, j’y allais deux fois par semaine, pendant quatre ans. J’ai découvert un univers auquel je n’étais pas préparé et ça m’a rendu très nuancée. J’ai toujours eu une sensibilité avec la marge, et ça l’a encore accentuée.

Photo de une: Philippe Rouget / Flickr


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